Les 2 minutes 30, consacrées à la Nouvelle-Calédonie dans la déclaration de politique générale du Premier ministre ont suscité de nombreux commentaires et réactions, souvent élogieux, parfois très critiques mais elles ne méritaient ni cet excès d’honneur ni cette indignité.
Que la Nouvelle-Calédonie ait été la seule collectivité dont ait parlé le Premier ministre est un signe fort. Mais qu’il en ait dit si peu est une déception parce que, clairement, nous sommes restés sur notre faim.
Michel Barnier parle d’une crise d'une gravité exceptionnelle et l'expression est faible, voire inappropriée.
Ce n'est pas, seulement, une crise d'une gravité exceptionnelle quand un territoire est dévasté parce qu'il fait face à une insurrection d'une violence inédite.
Ce n'est pas, seulement, une crise d'une gravité exceptionnelle quand, près de cinq mois après le début des émeutes, et malgré l'investissement hors norme des forces de l'ordre, on ne peut toujours pas circuler à Saint Louis.
Ce n'est pas, seulement, une crise d'une gravité exceptionnelle quand l'économie est exsangue, que les collectivités sont en faillite et que tous les organismes sociaux sont en cessation de paiement.
D'où l'irritation que certains ont pu ressentir en entendant les propos du Premier ministre, comme si l'Etat n'avait pas vraiment pris la mesure de la situation.
On va vers une désescalade, bien sûr, mais la crise à laquelle est confrontée la Nouvelle-Calédonie est dramatique, épouvantable, effroyable, catastrophique, pas seulement d'une gravité exceptionnelle. Il faut bien nommer les choses.
Alors certes, Michel Barnier nous annonce l'envoi d'une "mission de concertation et de dialogue" de très haut niveau, puisqu'elle sera conduite par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il installe aussi, auprès de lui et du ministre des outremers, une délégation interministérielle et il parle d'une nouvelle période consacrée à la reconstruction économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie et à la recherche d'un consensus politique sur son avenir institutionnel, signe qu'il a conscience des enjeux.
Mais la goutte d'eau qui a fait déborder le vase c'est, bien sûr, la façon dont il a annoncé que le projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral ne serait pas soumis au Congrès. On le savait, puisque le Président de la République avait déjà dit la même chose à au moins deux reprises. Mais depuis des mois, les indépendantistes feignent de ne pas avoir compris et demandent à l'Etat d'être explicite sur ce point. Dans une volonté d'apaisement, Michel Barnier a sans nul doute voulu leur donner des gages en le répétant une fois de plus. Mais c'était maladroit et c'était méconnaitre le climat explosif de la Nouvelle-Calédonie depuis le 13 mai.
Tellement maladroit qu'il a dû rectifier le tir, le lendemain, devant le Sénat, en déclarant – ce que tout le monde sait aussi – qu'il faudra "travailler sur l'élargissement du corps électoral pour les prochaines provinciales."
S'il avait prononcé ces mots, la veille, devant l'Assemblée nationale, on aurait évité un psychodrame et la colère du député Metzdorf qui l'a interpellé vivement en l'accusant d'avoir humilié et abandonné les calédoniens. Le député de la 1ère circonscription devait-il employer un tel ton à l'égard du Premier ministre nouvellement nommé ? Ça fait débat mais on relèvera que l’heure n’est pas aux propos aseptisés et que pour être entendus, dans le brouhaha politico-médiatique, il vaut mieux parler fort et créer des contentieux. On peut, d'ailleurs, légitimement se demander si le Premier ministre aurait changé son discours devant le Sénat sans la démonstration d'indignation du député calédonien.
On retiendra aussi de cette intervention de Michel Barnier le report des élections provinciales jusqu'à fin 2025 et sa volonté de s'engager "personnellement" dans le dossier calédonien, ce que tout le monde souhaitait, tellement les implications sont interministérielles. Mais il ne faut pas non plus en faire un prérequis
Ce n’est pas l’hôtel Matignon qui change la donne. C’est la personnalité de son locataire et sa capacité à trouver une méthode et une issue à la situation inextricable dans laquelle se trouve la Nouvelle-Calédonie. C'est sur le long terme, que l'on pourra juger de l'action de Michel Barnier. Pas sur 2 minutes 30